Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Pour que ce soit clair, je ne suis pas médecin et c’est important. J’ai fait une école d’ingénieur, me spécialisant en physique et en micro-électronique, donc ni en biologie ni en médecine. Maintenant, je suis avant tout écrivain, avec un background scientifique. Je lis tout ce qui me tombe entre les mains côté science, depuis l’astrophysique jusqu’à la médecine. Mais je reste un amateur dans ce domaine.
Didier Pittet est l’auteur de la préface de Résistants. Pourriez-vous nous parler de votre rencontre avec lui, et de son rôle dans l’écriture de votre ouvrage ?
Après avoir rencontré Didier une amie Genevoise m’a immédiatement conseillé de le rencontrer : elle a tout de suite sentit que j’aimerais faire un livre sur lui. C’est la rencontre avec Didier qui m’a plongé un peu plus sérieusement dans le domaine médical.
Ça c’est le déclencheur : je rencontre Didier trois semaines plus tard, et en déjeunant avec lui, il me raconte l’histoire du fameux gel hydroalcoolique. Deux ans après, cette histoire est devenue Le geste qui sauve (ouvrage de Thierry Crouzet sur l’histoire du gel hydroalcoolique). Quand j’écrivais ce texte, Didier m’a souvent parlé du phénomène de la résistance aux antibiotiques.
Il a bien insisté sur le fait que c’était un problème de plus en plus important dans les hôpitaux, et aussi que la meilleure façon de se protéger et d’éviter la résistance dans un premier temps était de se désinfecter les mains. J’ai donc découvert le problème de l’antibiorésistance en écrivant Le geste qui sauve.
Pour écrire mon premier livre, j’ai interviewé longtemps Didier, mais aussi tous les gens qui avaient travaillé avec lui, aux cours des quinze dernières années. Le geste qui sauve n’est pas un livre spécialement technique : il explique l’importance des actes liées à l’hygiène des mains. C’est presque une sorte de biographie de Didier qui se lit comme un roman.
Nous sommes finalement devenus amis, nous avons passé beaucoup de temps ensemble, et c’est aussi pour cela que j’ai continué à écrire sur la médecine. Didier m’a expliqué que le problème de l’antibiorésistance était un des plus gros problèmes aujourd’hui pour les professionnels de la prévention des infections. C’est donc lui qui m’a motivé à écrire un second livre sur ce sujet (Résistants). D’autres médecins m’ont encouragé dans le même sens.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter votre vision de l’antibiorésistance en un ouvrage mi-documentaire, mi-thriller ?
Pour Résistants, j’ai vite eu un problème, je me suis demandé ce que j’allais pouvoir écrire. Pas un essai, parce que n’était pas légitime. J’ai cherché s’il y avait eu, par exemple, une grande histoire d’infection qui aurait pu m’inspirer, mais je n’ai pas trouvé. J’ai découvert beaucoup de cas, d’affaires, mais aucune pour tenir la longueur d’un livre. Et surtout aucune ne m’aurait permis de traiter de tous les aspects de l’antibiorésistance. C’est pour cela qu’au bout d’un moment je me suis dit que la seule chose que je pouvais faire, c’était d’en faire un roman. Cette forme s’est imposée.
Pour ce qui est de ce style d’écriture, je fais toujours ça : je préfère que la forme soit axée roman. Par exemple, des essais sur les antibiotiques, il y en a beaucoup, en France, aux USA… Après j’aurais pu interviewer, faire des comptes-rendus, mais ça ne m’aurait pas intéressé d’écrire sous cette forme. Je veux bien que mes écrits servent à la communauté, mais il faut aussi que j’y trouve mon compte.
J’aime bien jouer avec le réel : je mélange la fiction et la réalité, c’est vraiment ce que j’aime faire. Par contre, dans tous les cas, ce qui est important, c’est que les faits scientifiques soient rigoureusement exacts. Les situations peuvent être romanesques, et dans le cas de Résistants, le sujet peut effectivement l’être, mais au niveau scientifique, il ne faut pas qu’il y ait de doutes. C’est ce qui est important pour moi.
D’après vos recherches et votre exploration du sujet de l’antibiorésistance, aujourd’hui quelle est votre vision par rapport cette problématique ?
J’ai compris que c’était une sorte de bombe à retardement, qui est progressivement en train d’exploser, et j’en fais l’analogie avec le problème climatique : je trouve que ce sont des problèmes qui se ressemblent. Au sens où on les connait, depuis des années – même depuis les années 50 déjà, Fleming (Alexander : médecin, biologiste et pharmacologue britannique) avait alerté sur le fait que nous allions avoir un gros problème avec l’antibiorésistance. – C’est un problème connu de tous, mais on le subit. C’est donc similaire au problème climatique. J’ai seulement l’impression que l’on pourrait agir plus facilement avec le problème de l’antibiorésistance. Par exemple, j’ai été atterré de voir toutes les données que nous avions sur l’antibiorésistance chez les animaux : je trouve cela surréaliste.
Est-ce que par rapport à vos connaissances sur le sujet, vous avez modifié vos pratiques de consommation (d’antibiotiques, alimentaires…) ?
Oui, alors, alimentaires, pas tant que cela car je ne mangeais déjà quasiment plus de viande, mais effectivement encore moins depuis que j’ai conscience du problème de l’antibiorésistance chez les animaux. Et pour les autres aspects également.
Par exemple, il m’est arrivé un accident de vélo il y a quelques années. Les soignants m’ont tout de suite donné des antibiotiques. A ce moment-là, je venais juste de publier le livre. Je leur ai donc demandé pourquoi ils me donnaient des antibiotiques. Bien sûr, c’était dans le cadre d’un risque d’infection, donc de l’antibioprophylaxie. Alors je me suis rendu compte que si l’on n’y prenait pas garde, on était bombardé d’antibiotiques. J’ai donc résisté chaque fois. J’ai de la chance, je connais Didier, et je l’appelais en l’informant de ce que l’on me prescrivait, pour savoir si cela faisait sens, et effectivement bien souvent ça n’en faisait aucun.
Un lueur d’espoir, les mœurs peuvent changer assez vite. Cela peut dépendre des endroits, mais il se trouve que lors d’une dernière opération, suite à une autre chutte à vélo, fracture du col du fémur, on ne m’a pas donné d’antibiotiques. Donc on peut voir que les pratiques peuvent aussi évoluer. Dans ce cas-là, on peut dire que les professionnels étaient sûrs d’eux, et ce devrait être comme ça tout le temps : il n’y a pas de raison de prescrire des antibiotiques systématiquement.
Quels sont les retours de votre lectorat quant à cet ouvrage ?
Quand le livre est sorti, des gens me disaient « moi, je ne prends jamais d’antibiotiques ». Mais je leur répondais que même lorsqu’ils buvaient ou mangeait certaines choses, ils en prenaient malgré eux. Les gens croient qu’ils n’en consomment pas, mais ils en prennent toujours. C’est aussi un peu étrange, car certaines personnes ne veulent plus en prendre du tout, alors que dans certains cas il en faut. Il y a un peu d’irrationnalité qui s’installe aussi maintenant. Donc il ne faut pas faire peur, mais il faut bien éduquer quant aux bons usages.
Concernant Résistants, la plupart des gens m’ont dit : « c’est une histoire horrible ! ». La plupart ne connaissaient rien au domaine médical, et ils ont pris ce livre comme un polar, un thriller. Mais tous ont été horrifiés d’apprendre tout cela sur les antibiotiques, l’étendue du problème, et notre impuissance face à celui-ci.
Même les experts peuvent apprendre des choses, car j’ai exploré tous les domaines de l’antibiorésistance – la plupart des professionnels ne couvrent pas tous les champs d’expertise. Didier m’a parlé de certaines choses, mais sur chaque domaine, je suis allé voir des spécialistes. J’ai fait le tour, j’ai collecté des faits, j’ai enquêté… Le résultat, c’est que les lecteurs sont assez terrorisés par tout cela…
Personnellement, j’ai dit tout ce que j’avais à dire dans le roman : je liste les pistes pour s’en sortir également. Mais après, quand et comment cela peut être mis en œuvre, ce n’est pas à moi de le dire. Le but était de dénoncer, et de montrer qu’il y avait des pistes. Par exemple si l’on en revient aux animaux, donner des antibiotiques n’est pas complètement interdit, même en France, et même dans la viande bio. Donc là je trouve que c’est absurde. Mais on se rend compte que c’est la même chose que pour le climat, on entre plutôt dans des questions économiques lorsqu’il s’agit de trouver des solutions.