Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre rôle au sein de l’action conjointe, sur la résistance aux antibiotiques, et des infections associées aux soins, EU-JAMRAI en quelques mots ?
Je suis Marie-Cécile Ploy, je suis microbiologiste et je dirige un service de bactériologie-virologie hygiène au CHU de Limoges, et je dirige aussi une unité INSERM (université/ CHU) de recherche sur la résistance aux anti-infectieux, antibiotiques et antiviraux au sein des locaux de l’université de Limoges.
Au titre de l’INSERM, je coordonne ce que l’on appelle une action conjointe, autour de la résistance aux antibiotiques, et des infections associées aux soins. Mon rôle de coordinatrice a pour mission de faire en sorte que l’ensemble des partenaires travaillent de concert, et qu’on suive le plan prévu avec l’union européenne, selon ce que l’on appelle le Consortium agreement qui donne les étapes et qui permet de suivre ce qui était bien prévu de faire.
C’est une action avec beaucoup de monde, il y a 44 partenaires, dans 27 pays différents, et une quarantaine de stakeholders, qui sont des représentants européens de la société civile, de l’industrie, des professionnels de santé… avec une dimension One Health, c’est-à-dire homme et animal.
Quels sont les objectifs principaux de EU-JAMRAI face à la crise de l’antibiorésistance actuelle ?
Cette action jointe, qui s’appelle EU-JAMRAI, a pour objectif de passer des déclarations politiques aux actions concrètes sur le terrain. Depuis plusieurs années, il y a beaucoup de déclarations qui sont faites, à très haut niveau politique puisqu’on en parle au niveau du G20, du G7, on en parle au niveau de l’Europe… Il y a eu un plan d’action global écrit par l’OMS et l’OEI (qui est l’équivalent de l’OMS pour la santé animale) et puis la FAO décrivant les actions principales.
Il y a beaucoup de choses faites par des agences européennes et par l’OMS, mais c’est plus compliqué au niveau des pays états membres. Donc l’objectif de la JAMRAI, c’est vraiment de réunir les acteurs concernés, donc les états membres, et de mettre en place des outils, pour les aider à passer de ces déclarations d’intention, à des actions concrètes sur le terrain, aussi bien au niveau local dans les hôpitaux, mais aussi au niveau national.
L’union européenne a édité un guide en 2017, qui stipule que chaque pays doit avoir un plan d’action national de lutte contre l’antibiorésistance, et il faut faire en sorte que de plus en plus de pays aient ce plan d’action national. Il s’agit de savoir comment on peut les aider pour les mettre en place.
Pourriez-vous nous parler rapidement de la dernière campagne de communication lancée #DontLeaveItHalfway et ses objectifs ?
Effectivement, il y a une équipe de communication qui est extrêmement active, qui est une équipe espagnole au sein de la JAMRAI. C’est absolument nécessaire d’avoir une communication très efficace, car il faut impliquer tout le monde, y compris les patients, et donc ça passe par de la communication et de l’éducation.
Parmi les points concernant le meilleur usage des antibiotiques, il y aussi la responsabilité du patient par rapport au traitement qui lui est prescrit, c’est-à-dire ne prendre un traitement que lorsqu’il est prescrit par un médecin. La campagne de communication #DontLeaveItHalfway, parle de ne pas arrêter un traitement en cours de route, et de bien le prendre complètement. Car on sait que si un traitement est arrêté trop tôt, cela peut avoir des impacts en termes de sélection de bactéries qui ont pu acquérir de la résistance.
C’est une campagne qui est traduite dans nombreuses langues, elle est faite sur le ton humoristique, avec des humains mais aussi des animaux. Les bactéries ne connaissent pas de frontières, donc si on veut lutter efficacement contre la résistance aux antibiotiques, il faut vraiment travailler en parallèle les 3 écosystèmes : homme, animal, et environnement.
Comment est-ce que les travaux de EU-JAMRAI s’intègrent dans le mouvement One Health, approche prônée par l’union européenne et l’OMS ?
On entend partout ce concept de One Health, il est assez facile à énoncer, mais il est beaucoup plus difficile à mettre en place. Donc justement, une des forces de la JAMRAI, c’est d’avoir, au sein des partenaires, des états membres qui s’occupent plus de santé publique humaine, et des partenaires qui s’occupent de santé animale.
Et donc par exemple, on a une action qui est coordonnée au sein de la JAMRAI, par les Pays-Bas, dans laquelle ils font des visites de pays à pays, pour justement mieux se comprendre les uns et les autres, et comprendre comment sont mis en place les actions One Health dans chaque pays. C’est extrêmement intéressant, car l’avantage, c’est que ce sont des représentants qui se parlent entre pairs, soit des gens qui font partie de Ministères de la santé ou de l’agriculture d’un pays, et qui vont voir leurs homologues dans un autre pays.
Donc il s’agit bien d’échange d’expériences. Du coup c’est très intéressant, parce que selon les visites qui ont lieu, certains pays ont déjà mis en place des choses en se servant de l’expérience d’un autre pays européen. Plutôt que de travailler chacun de son côté, ça demande une synergie entre chaque pays, et sur l’aspect One Health. D’ailleurs, lors que de la dernière assemblée générale à Rome, en septembre 2019, nous avons présenté les résultats conjointement. C’est-à-dire que quelles que soient les actions que l’on mène, on présente la partie humaine et animale ensemble. C’est là que l’aspect One Health devient vraiment concret.
Il y a donc des actions sur le bon usage aussi bien chez l’homme que chez l’animal, mais aussi des actions sur la prévention des infections associées aux soins, parce qu’on ne peut pas distinguer le problème de la lutte contre l’antibiorésistance si on n’inclut pas la prévention et le contrôle des infections. En termes de publics, cela concerne tous les prescripteurs et patients, humains et animaux.
Il y aussi des actions pour faire en sorte que sur un programme qui est court, de 3 ans, on puisse développer des choses qui soient reprises par d’autres, et que ces actions deviennent pérennes.
Quelles sont les perspectives d’avenir pour EU-JAMRAI ?
Il y a plusieurs choses : sur la partie prévention des infections associées aux soins, on a travaillé sur 2 choses particulières. D’abord une méthodologie pour améliorer les préventions des infections associées aux sondages urinaires, qui permet d’accompagner les équipes soignantes sur le terrain. Il y a des pays dans lesquels la problématique des infections sur sondes n’était pas tellement prise en charge. Grâce à cette méthodologie, on a pu faire de l’implémentation.
Il y a aussi le fait de développer un cahier des charges global de ce qu’il faudrait mettre en place à chaque niveau, local, régional, national, pour la prévention des infections associées aux soins : ce projet est en train de se mettre en place sous forme de pilotes en Europe, pour voir la faisabilité de cette mise en place.
Sur le bon usage des antibiotiques il y a aussi des recommandations qui vont être éditées.
Nous allons également proposer un kit sur la communication aux pays pour qu’ils le diffusent eux-mêmes.
Il y a également une partie dont je n’ai pas parlé, sur la recherche et l’innovation, où l’on a à la fois travaillé sur les thèmes de la recherche pour lutter contre l’antibiorésistance, et mis en évidence des gaps, notamment en ce qui concerne la recherche sur la prévention et le contrôle des infections. On travaille aussi beaucoup à proposer des modèles économiques, pour booster la recherche et l’innovation, pour de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Pour en savoir plus sur EU-JAMRAI :
Il y a un site internet, il y a un certain nombre d’interviews qui ont été faites lors de la dernière assemblée générale.
Egalement lors de la semaine dédiée à l’antibiorésistance (du 18 au 22 novembre prochain), on sera présent à la journée inaugurale organisée par l’ECDC à Stockholm. On va y lancer un concours de design, pour trouver le symbole qui représentera la lutte contre l’antibiorésistance.