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IPA en prévention et contrôle de l’infection

IPA veut dire Infirmier en Pratique Avancée. En 2008, le Conseil International des Infirmières (CII) a apporté sa définition de l’IPA : « L’infirmier(ère) qui exerce en pratique avancée est un(e) infirmier(ère) diplômé(e) qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession. Les caractéristiques de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmier (ère) sera autorisé(e) à exercer. »

La SF2H a publié un rapport « Infirmier de pratique avancée et prévention et contrôle de l’infection » lors du premier semestre 2019. Afin de mieux comprendre les objectifs et les finalités de ce document, et de faire le lien avec la définition d’IPA, Rachel Dutrech a rencontré pour le RéPias Nouara Baghdadi, administratrice à la SF2H qui est, avec Chantal Léger, une des pilotes de ce travail au sein de la société savante.

Pourquoi ce document ?

Rachel Dutrech : « Pourquoi ce document IPA en prévention et contrôle de l’infection ?

Nouara Baghdadi : Pierre Parneix a été l’initiateur de ce projet. Nous discutions beaucoup entre infirmières du conseil d’administration sur l’opportunité de se saisir de l’actualité, puisque le décret IPA était en cours de rédaction au Ministère, c’était il y a deux ans  (2017). Nous savions, que la publication se ferait dans l’année suivante. Pierre nous a encouragé à y travailler. La question était de savoir, comment les infirmières hygiénistes pouvaient se positionner par rapport à ce décret ? En effet, il n’y a pas de spécialisation d’infirmière hygiéniste, alors que la spécificité de cette fonction fait l’objet d’une reconnaissance revendiquée, de façon légitime, depuis plus d’une vingtaine d’années. Notre première motivation dans ce projet consistait à travailler sur la reconnaissance de la profession. Notre deuxième motivation était en lien avec l’hétérogénéité actuelle des formations d’infirmières hygiénistes et les différentes fonctions : infirmières avec un DU, IBODE, infirmières Cadre de santé bénéficiant d’une expertise sur l’organisation des services mais aussi de compétences pédagogiques approfondies dans la formation de cadre. L’idée était vraiment de construire un socle homogène et qualifiant sur la formation des infirmières hygiénistes.

Le fondement de ce document s’appuyait à la fois sur le contexte législatif du décret à venir, sur la reconnaissance de la spécificité du métier d’infirmier hygiéniste et sur un socle national de formation.

Comment a été conçu ce document ?

RD : Comment avez-vous pensé ce travail au sein de la SF2H?

Quand nous [1] avons commencé ce travail, il y avait déjà plusieurs jalons fondateurs, autour de la notion de compétences, à savoir :

  • les compétences déclinées dans le décret de compétences des infirmiers en formation initiale
  • les compétences de l’IPA énoncées par nos collègues canadiennes, mais aussi les travaux en France avec l’Ordre National Infirmier et la publication [2] de Florence AMBROSINO concernant une étude sur les compétences d’une infirmière en pratique avancée.
  • le référentiel métier hygiéniste (RMH) de la SF2H, avec une approche différente. Le RMH a été construit avec Guy LE BOTERF ; Pour LE BOTERF, un professionnel est compétent lorsqu’il est capable de savoir-agir en situation, c’est-à-dire la façon dont le professionnel va mobiliser, en situation, un certain nombre de compétences pour gérer la situation et adopter des actions avec professionnalisme : c’est est une approche dynamique de la compétence qui est donc ancrée dans une situation complexe et qui est difficilement décomposable. Guy LE BOTERF a amené le bureau de la SF2H à travailler sur le RMH avec cette méthode-là principalement parce que la démarche des hygiénistes est une démarche qui est collective et le résultat d’une action c’est le résultat de l’ensemble des compétences de l’équipe ; l’équipe adapte une combinatoire de compétences à une situation particulière, qui est extrêmement dynamique et qui peut évoluer relativement rapidement.

 En fait, le travail n’a pas été linéaire. L’élaboration de ce document a nécessité de nombreux aller-retours entre le référentiel métier et les compétences de l’infirmière en pratique avancée.  Mais surtout, cela a nécessité un travail, je dirais, peut-être pas d’adaptation mais, en tous les cas, un travail de transposition à ce que pouvaient être ces compétences d’IPA dans le domaine de la prévention du risque infectieux.

Nous avons pu démontrer que certaines infirmières hygiénistes répondaient totalement à la définition des compétences du métier d’infirmière de pratique avancée : c’est l’IPA en prévention et contrôle de l’infection (IPA en PCI) ; pour reconnaître cette spécificité, le décret actuel des IPA nécessite un aménagement. En effet le décret précise des domaines d’intervention spécifiques pour les IPA dans le cadre des maladies chroniques. Le domaine de la prévention est déjà très investi par les IPA dans les pays où ce métier est reconnu : la France devrait leur emboîter le pas. Lorsque le cadre réglementaire aura évolué, l’infirmière hygiéniste devra démontrer un nombre d’années d’exercice dans en prévention du risque infectieux et obtenir le Master 2 d’IPA dans le domaine de la PCI.

Nous avons procédé en trois étapes.  

La première étape consistait à reprendre le référentiel métier, les neuf savoir-agir en se posant la question suivante : « comment peut-on les traduire en compétences identifiées pour les IPA ? ». A partir du modèle international d’Ann HAMRIC et des compétences définies dans le document écrit par Florence AMBROSINO, nous avons corrélé le référentiel métier, les savoir-agir et ces compétences IPA. C’est-à-dire que pour chaque compétence IPA, nous avons identifiés quels pouvaient être les savoir-agir correspondant. C’est pour ça que, dans chaque compétence IPA, on a retrouvé plusieurs fois certains savoir agir du RMH. Cette première étape a permis de faire la correspondance, entre les deux méthodes de travail : d’un côté un modèle intégrateur de l’ensemble des compétences d’une EOH et de l’autre côté un modèle décomposable plus lisible en termes de compétences en soins infirmiers.

 Dans la deuxième étape, nous nous sommes intéressés au nombre d’apparitions de chaque savoir agir pour chaque compétence IPA. Nous avons adapté la méthode d’analyse de contenu qui permet d’identifier les notions essentielles d’un document en répertoriant le nombre d’occurrences par item. Et parmi les six grandes compétences IPA (l’expertise clinique, le leadership, la consultation, la collaboration, la formation et la prise de décision éthique, c’est l’expertise clinique qui totalisait le nombre d’apparition le plus important de savoir-agir.

Ce premier résultat était tout à fait cohérent puisque le référentiel métier a été construit à partir de neuf situations professionnelles qui les situations prévalentes du métier d’hygiéniste. Ce qui est d’autant plus cohérent puisque l’expertise clinique est la compétence sur laquelle vont venir s’appuyer toutes les autres et qui correspond vraiment au cœur de métier du professionnel et ici c’était l’infirmière de pratique avancée

Le deuxième résultat marquant de ce travail concerne, cette fois-ci, le fait que seuls trois savoir-agir ne relevaient pas de la compétence de l’infirmière de pratique avancée : il s’agissait de savoir-agir qui relevaient de la responsabilité médicale (par exemple la décision du signalement) ou qui étaient reliées à la prescription médicale elle-même.

 La première conclusion c’est que l’infirmière de pratique avancée en prévention et contrôle de l’infection pouvait tout à fait jouer l’ensemble de la partition écrite dans le référentiel métier et qu’elle était en capacité de mener l’ensemble des actions.

Le troisième résultat, a permis de mettre en lumière trois compétences   qui étaient moins développées : la consultation, le leadership et la prise de décision éthique. C’était vraiment intéressant, et en même temps, complétement cohérent, puisque les neuf situations professionnelles prépondérantes de l’ensemble des hygiénistes (RMH), étaient centrées sur l’expertise clinique. Le fait que ces trois compétences soient peu développées, montrait que la spécificité des infirmières de pratique avancée, était fondamentalement là.  Cela nous a amené à la notion de sciences infirmières, et de fait au cœur de métier des infirmiers, mais aussi aux spécificités pour être infirmière en pratique avancée. En effet, la prise de décision éthique est en relation avec les situations complexes. La capacité à prendre une décision en situation complexe, suppose une maîtrise de la pratique clinique afin, d’appréhender une situation qui est extrêmement mouvante, qui nécessite un haut niveau d’expertise et de se positionner dans un contexte dynamique.

Cette compétence-là, est dite de pratique avancée, puisque l’infirmier doit avoir une expertise métier importante mais aussi il va aussi venir faire appel à un certains nombres de compétences qui sont un peu plus spécifiques : c’est une situation nouvelle ou inhabituelle pour laquelle il faut inventer une solution. Il est alors nécessaire de s’appuyer sur un ensemble de de ressources, comme notamment la recherche bibliographique. De plus ces prises de décision vont être des prises de décisions collégiales qui font appel à la délibération collective. C’est par le travail de coordination et d’interdisciplinarité que l’IPA va être un soutien dans ce processus de délibération. L’apport « spécifique de l’infirmière de pratique avancée » se situe dans ces situations nouvelles, complexes, pointues, où elle s’appuie sur son expertise, sur la délibération du groupe, sur la revue de la littérature pour prendre une position ou une décision commune.

Ces situations d’incertitude supposent d’être en capacité d’identifier un certain nombre, peut-être pas de critères, mais en tous les cas de principes éthiques, qui vont permettre de poser la décision.  Cela est en lien avec la prise de décision éthique et l’émergence de cette compétence ne se fait que si l’infirmière de pratique avancée a développé son leadership. Ce dernier est une compétence spécifique de l’IPA qui ne peut se construire que si l’infirmier fait preuve d’expertise. Le leadership s’exprime par le fait d’être reconnue par ses pairs, d’être capable d’argumenter grâce à la bibliographie, de mettre en place les conditions favorables à une délibération collective et de faire appel à des principes éthiques. Se positionner, faire preuve de leadership, d’expertise clinique et argumenter ses propositions sur des preuves probantes permet d’être reconnu dans son rôle d’IPA en PCI par l’ensemble des collègues.

Donc voilà pourquoi ces compétences-là elles étaient importantes.

La dernière compétence qui était beaucoup moins visible dans le référentiel métier hygiéniste, c’est la consultation puisque cette consultation fait appel à une autonomisation de l’infirmière de pratique avancée. Et cette autonomisation n’est possible aussi que si l’infirmier a développé un haut niveau d’expertise, s’il est capable de coordonner une prise de décision en équipe, d’aller rechercher dans la littérature un certain nombre d’éléments et surtout de pouvoir accompagner à la fois les équipes et les patients. Cette notion d’accompagnement a été mise en exergue par cette réflexion, à partir des compétences pédagogiques. La définition de l’accompagnement que nous avons retenue en groupe est la suivante : c’est le fait de travailler avec les équipes de soins, avec le patient, de manière à les autonomiser. Comment travailler avec eux pour les autonomiser ? C’est être à côté d’eux donc accompagner, mais aussi pouvoir à la fois transmettre ou alors tout simplement mettre les conditions favorables pour que les équipes de soins puissent produire elles-mêmes à la fois leurs connaissances, leur comportement et définir les bonnes pratiques qu’elles vont mettre en place dans leur secteur en fonction du type de patient qu’ils prennent en charge et en fonction aussi des contraintes ou alors des avantages qu’ils peuvent avoir dans ce service-là. Cette notion d’accompagnement, c’est un combat et une des choses qui est le plus nourrissant en tout cas pour une infirmière hygiéniste. C’est vraiment pouvoir aider les gens à trouver, peut-être pas la solution mais en tous les cas, trouver une façon de travailler qui va les satisfaire et répondre le mieux possible aux recommandations. Ce sont vraiment ces compétences-là qui nous semblent les plus importantes pour pouvoir définir l’infirmière de pratique avancée.

[1] Les personnes qui ont débuté le travail sur ce document sont les infirmières du CA de la SF2H avec Pierre Parneix, sous le pilotage de Nouara Baghdadi et Chantal Léger. L’ensemble des contributeurs est mentionné à la page 4 du document.
[2] L’Infirmière de Pratique Avancée expliquée aux Infirmières Master 1 en sciences clinique infirmières EHESP 2011-2012 https://www.infirmiers.com/pdf/recherche-florence-ambrosino.pdf

L’avenir de ce travail

Tu as bien conclu sur le fait que finalement c’est un travail de recherche qui a été mené, et ce travail de recherches a permis de rédiger un rapport de nombreuses pages. Il y a une version longue et une version courte de ce rapport qui ont été produites. Quel est aujourd’hui le devenir de ce rapport ? Quelles sont les suites ?

Effectivement comme tu l’as précisé, il y a deux versions, une version longue et une version courte. La version longue a été nécessaire pour montrer la cohérence entre les différents travaux qui ont été menés (le référentiel métier et sur les compétences de l’infirmière de pratique avancée). Il était aussi important de se situer par rapport à notre cœur de métier donc les compétences acquises en formation initiale d’infirmière et de construire un modèle global intégrant ces compétences là avec celles des infirmières qui ont des diplômes universitaires en hygiène hospitalière, puis une projection de l’IPA en PCI.

Certains membres du groupe de relecture nous ont demandé de faire une version courte, plus synthétique, avec des activités qui pouvaient permettre de se faire une idée concrète de ce que pouvait faire une IPA en PCI : c’est le deuxième document.

Le premier document est conceptuel, pour ancrer l’IPA en PCI dans les sciences infirmières et dans le référentiel métier hygiéniste ; le deuxième correspond plutôt, en partant des savoir-agir du référentiel métier des hygiénistes, aux activités principales d’une IPA en PCI.

Avec le rapport court, il s’agit de fixer les idées sur des activités concrètes, sur le champ que peut occuper une IPA en PCI ;  c’est quasiment tout le référentiel métier hygiéniste : ce qui signifie qu’en terme de responsabilités, l’autonomie est large que ce soit sur un territoire, ou sur un établissement. C’est l’opportunité de reconnaître une complémentarité construite ces dernières années avec les praticiens hygiénistes et qui leur permet de se centrer sur des activités à forte plus-value médicale. Pour le décideur, positionner l’infirmière de pratique avancée de prévention et contrôle de l’infection dans l’offre de soins est aussi une plus-value ; l’IPA en PCI amène son expertise dans la prévention du risque infectieux, à la fois aux patients, aux équipes, et permet un gain en sécurité et en accès à l’expertise et la  satisfaction.

Pour les suites à donner, le document a été envoyé avec une note de synthèse au Ministère pour discuter de l’aménagement du décret. En effet, le document est novateur en regard du champ d’action et de compétence de l’IPA en PCI. Nous proposons que le cadre législatif évolue puisque l’IPA en PCI s’inscrit surtout dans un champ de la prévention là où le décret s’inscrit dans le champ des maladies chroniques. C’est d’autant plus intéressant que ce travail permet d’avoir une vision, même plus large, autour des soins primaires. L’idée d’avoir remonté ce document au Ministère, avec la note c’est de pouvoir élargir le décret. Nous sommes dans une phase d’attente d’adaptation du décret pour qu’après, nous puissions avoir une reconnaissance de la place de l’IPA en PCI sur le plan législatif  afin d’en définir la formation.

RD : On peut donc demander à nos infirmiers hygiénistes qui souhaitent se former de patienter encore quelque temps pour pouvoir rentrer dans ce cursus universitaire qui sera cher au métier.

Etant donné que sur l’aspect législatif, nous n’avons pas de base, qui reconnait ce champ spécifique, et qui définisse clairement quels sont les attendus en termes de champ d’intervention et de compétences nécessaires, la formation ne peut pas être créée.

Après effectivement, il y a de l’attente, mais peut-être que cette attente-là elle peut aussi permettre une réflexion individuelle sur les activités des infirmiers hygiénistes, pour savoir si par rapport à ce qui a été écrit, si leur activité correspond réellement à une IPA en PCI. Effectivement, s’inscrire dans un projet de formation IPA, c’est un projet professionnel mais aussi un peu comme un projet de vie parce qu’effectivement deux ans pour décrocher le Master 2 quand on est déjà en activité, c’est quelque chose qui a besoin d’être maturé, préparé.

RD : Est-ce que tu as quelque chose à ajouter Nouara ?

Peut-être suis-je optimiste, mais en tous les cas je me dis que ça ne va pas arriver dans l’année, mais je me dis que cela va arriver relativement rapidement, à l’échelle de la rapidité des institutions. Finalement, le décret était, peut-être trop restrictif, puisqu’il est orienté vers  un besoin en santé autour des maladies chroniques. La preuve, c’est qu’il y a déjà eu un travail qui a été fait pour pouvoir intégrer les infirmiers psychiatriques, qui rentraient complètement dans le champ de la pratique avancée et qui va sortir relativement vite, en septembre. Pour pouvoir maintenir notre optimisme, et je pense qu’il est nécessaire de se mobiliser en lobby  autour de cette demande d’élargissement du décret. Nous devons nous structurer à la fois entre collègues, avec l’ordre infirmier, et toutes les bonnes volontés possibles, pour réexpliquer que c’est un vrai besoin dans l’offre de soins et qu’il y a une « force » qui est prête à s’investir et qui va être là pour demander que l’élargissement de ce décret soit effectif pour les infirmiers hygiénistes.

RD : Merci Nouara, nous attendons l’évolution de ce décret. La SF2H informera des avancées au fur et à mesure via son site et la newsletter adressée aux adhérents. »

Grâce à cette réflexion menée et structurée dans ce rapport, nous pouvons avancer que les infirmiers hygiénistes sont légitimement des IPA en devenir. La modification du décret permettra d’intégrer dans le cursus universitaire les IPA de prévention et contrôle de l’infection.

Rédaction : Rachel Dutrech et Nouara Baghdadi
Secrétariat et travail de retranscription : Carole Roy
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