Pourriez-vous vous présenter, ainsi que votre poste et votre implication dans le réseau national des CPias ?
NFB : Nathalie FLORET, médecin de santé publique, hygiéniste, responsable du CPias Bourgogne- Franche-Comté, et co-pilote du réseau national des CPias.
HV : Hervé VERGNES, cadre de santé hygiéniste du CPias Occitanie (site toulousain), et co-pilote du réseau national des CPias.
JCD : Jean-Christophe DELAROZIERE, médecin responsable du CPias PACA, pilote du réseau national des CPias.
Le réseau des CPias a été créé pour fédérer les 17 CPias, partager et porter des projets de manière transversale. Le pilote et les deux co-pilotes ont été nommés par les participants au COPIL des CPias en 2018.
Dans quel cadre est rédigé ce bilan, à qui est-il destiné ?
JCD : Pierre PARNEIX est à l’origine de l’idée du bilan Covid-19 des CPias : il est apparu que les CPias ont eu un surcroit d’activités à la suite de la 1ère vague de l’épidémie, et
M. PARNEIX avait souligné l’intérêt de quantifier les actions menées. Nous avons donc évalué nos activités, avec un bilan pour chacun des CPias, puis nous avons mis en commun les résultats des 17 CPias de France, pour montrer la plus-value que les CPias ont pu apporter.
HV : En effet, il nous a semblé important d’afficher, à la fois sur le plan qualitatif que quantitatif, les activités menées, largement majorées pendant cette crise. Il nous a paru important de rendre compte de de la charge de travail imputée aux différents CPias et de notre capacité à nous réorganiser.
NF : d’un point de vue méthodologique, pour réaliser ce bilan, un questionnaire standardisé a été formalisé. Chacun des CPias l’a renseigné et les informations colligées ont ensuite été agrégées pour rédiger le document.
JCD : En ce qui concerne les publics, ce bilan est plus particulièrement à l’attention des instances locales, régionales et nationales liées à la prévention des infections. Le bilan est en cours de transmission aux ARS, et j’ai été chargé de l’envoyer au Ministre de la Santé, à la DGS, à la DGOS, à la HAS, à Santé Publique France… toutes les instances nationales. Ensuite chaque CPias a informé son ARS sur son activité pendant cette 1ère vague.
Dans quelle mesure les CPias se sont-ils impliqués dans la gestion de la crise Covid-19 ? (actions menées, collaborateurs impliqués, messages diffusés, soutien apporté…)
HV : Ce qui nous a marqué à tous les trois, et de façon générale via les retours de l’ensemble des CPias, c’était la forte sollicitation des CPias par les professionnels de terrain et ce, sur l’ensemble des secteurs de soins : les ES mais aussi fortement les EMS, et les soins de ville.
L’adaptabilité des équipes des CPias est notable : les équipes ont dû faire face à un afflux de demandes de conseils, et à des contraintes liées à la crise sanitaire.
NF : les sollicitations ont émané des professionnels des 3 secteurs de l’offre, de structures sociales mais également des agences régionales de santé. En tant que structures d’appui, certains CPias ont ainsi été mobilisés pour développer des outils et diffuser des messages de bonnes pratiques.
HV : Même si tout le monde n’a pas eu la même expérience en ce qui concerne la relation ARS – CPias, plusieurs nouveaux documents ont été élaborés à la fois par un CPias et l’ARS. Des partenariats à ce niveau-là ont donc pu se faire.
JCD : Pour citer les chiffres qui sont importants dans le bilan :
- 25 545 conseils faits à des professionnels des 3 secteurs (sanitaire, médico-social et ville).
- 19 318 personnes qui ont participé à des formations, lors de 239 webinaires : nous avons à ce titre modifié notre mode de travail. Jusqu’à présent, les formations étaient en présentiel mais le confinement les as rendues impossibles, donc nous avons beaucoup développé les web conférences.
- 1 119 fiches pratiques et outils de communication produits : cela rejoint ce que disait Nathalie. Ils ont été produits à la demande ou en partenariat avec les ARS, et pour un certain nombre spontanément par les CPias. Ce que nous avons retenu, c’est qu’il y a probablement une sous-estimation dans ce bilan chiffré, car parfois nous avions tant de sollicitations qu’il y a certaines choses que nous n’avons pas tracées.
NF : Pour évoquer les fiches pratiques que nous avons pu développer, l’idée était que les données, ou les recommandations des sociétés savantes, les documents émanant du Ministère, de la HAS ou du HCSP, soient lues, « digérées » et retranscrites de manière synthétique pour faciliter au quotidien le travail des professionnels (EOH) fortement mobilisés sur le terrain .
JCD : c’est vrai que les professionnels de terrain ont essayé de gérer les choses à leur niveau, cependant de nombreux textes réglementaires venaient rythmer le quotidien, ce qui ne leur a pas facilité la tâche. Ils avaient ces documents, mais aussi tous les conseils téléphoniques dispensés qui y étaient liés.
HV : Pour certains CPias, le nombre de conseils a été multiplié par 3 ou 4 comparativement à la même période pré-Covid-19. Cela montre vraiment l’importance de ces demandes, auxquelles nous répondions par mail ou téléphone mais aussi par visioconférence. Dans tous les cas, il fallait pouvoir apporter des réponses. Je complèterai en disant que nous avons été amenés à travailler auprès des équipes mobiles d’hygiène pour les CPias concernés. Par ce biais-là, il a été possible de mieux répondre aux besoins des EMS.
JCD : Oui, les EMH ne sont pas forcément dans les CPias, mais ça a été une vraie plus-value notamment pour les EHPADs.
NF : Pour coordonner plusieurs équipes mobiles d’hygiène en Bourgogne-Franche-Comté intervenant dans les EMS, il est vrai que cette organisation nous a donné une force de frappe importante pour optimiser l’accompagnement de ces établissements. En temps normal, les EMH sont déjà une source d’accompagnement reconnue et appréciée par les EMS conventionnés, mais dans ce cas ils sont allés au-delà de leur périmètre habituel d’intervention (établissements non conventionnés).
D’après vous, quels ont été les impacts majeurs (transformations) en interne liés à la gestion de cette crise Covid-19 au sein des CPias ?
JCD : En termes d’impact, nous avons relevé une augmentation de la charge de travail. Nous étions parfois disponibles le weekend, avec des permanences téléphoniques et mails car justement les établissements étaient submergés même le weekend.
Il y a eu aussi un développement, certes forcé, du télétravail. Cela a changé notre organisation, en particulier sur les formations, où le présentiel était impossible. On a donc développé les outils visio, ce qui a foncièrement bien marché. On continue aujourd’hui d’utiliser les mêmes systèmes. Il n’y avait également plus de déplacements dans les départements ou les régions. Donc tout ce qui concernait les audits ou les visites de risques ou formations sur site, a dû être annulé.
NF : C’est vrai que notre organisation a été révolutionnée : nous avons surexploité des outils numériques que nous utilisions très peu jusque-là. Grâce à la visioconférence, nous avons déployé des formations à distance avec des temps d’échanges avec les professionnels. Nous allons continuer à utiliser ces outils. Nous étions auparavant assez réticents, nous pensions qu’il fallait surtout du face à face pour avoir des échanges et de l’interaction, et finalement il a fallu s’engager dans la démarche numérique pour se rendre compte que le service rendu y était également !
Les professionnels participants ont été interrogés sur l’utilisation de ces outils, ils étaient globalement contents : la plupart disaient que l’avantage était de pouvoir organiser des réunions en temps réel, ultra rapidement, chose qu’il est difficile de faire quand on se déplace où l’effort d’anticipation doit être plus important. C’est une vraie valeur ajoutée pour apporter de la formation aux établissements et qui permet en même temps de faire gagner du temps et de limiter l’épuisement liés aux déplacements. Certains CPias ont également utilisé les Webcam embarquées pour faire des « visites de risque à distance » et donner un avis sur une organisation, sur un environnement particulier. Dans tous les cas, il faut être innovant et s’adapter. Mes collègues l’on dit, lorsque l’on fait face à de fortes contraintes, on trouve toujours des solutions pour offrir les services attendus par les professionnels.
Y-a-il eu du partage d’outils inter-CPias pour faciliter l’organisation ?
NF : Sur le site Internet du RéPias, les documents et outils produits par les CPias sont référencés dans la base documentaire et téléchargeables par les professionnels des EOH.
Au-delà, certains outils pouvaient être créés par un Cpias et adaptés à la demande d’un autre Cpias. C’est une situation que l’on a rencontrée en BFC pour un document sur lequel, à la demande du CPias ARA, nous avons ajusté le contenu. Cela correspondait à un besoin, et nous leur avons communiqué l’outil pour qu’ils n’aient pas à le refaire. Après les collaborations n’ont pas été systématisées : nous étions chacun pris dans un tourbillon de demandes.
JCD : Il y a eu aussi beaucoup d’échanges via les listes de discussion, car lorsqu’il faut analyser des documents pour les simplifier pour les établissements, ce n’est pas toujours très clair. Il y a donc eu des échanges de documents (ex : MARS, MIN), et des échanges quotidiens pour connaître la position des CPias sur telle ou telle problématique.
HV : il est vrai que certains documents non accessibles par tous, ont été partagés. Il était également utile d’échanger sur certaines recommandations pas toujours très claires afin d’en avoir une lecture et une traduction commune
Est-ce que certaines organisations inter-CPias mises en place seront perpétuées post crise Covid-19 ?
NF : avant la crise Covid-19, cette collaboration inter-CPias existait déjà. Le réseau voulait que sur certaines thématiques, des groupes de travail soient partagés, pour qu’il y ait une certaine unité dans les réflexions, dans les apports d’information pour construire des outils concertés, où tout le monde apporte sa pierre à l’édifice. C’est par essence le souhait du réseau des CPias.
HV : Le retour d’expérience des CPias et ce rapport d’activité commun affiché, va à mon sens renforcer le réseau, que l’on peut retenir aussi c’est l’intérêt de la visioconférence que nous pourrons développer comme outil de communication, en particulier pour des établissements éloignés au sein de grands départements, où il est compliqué de se déplacer.
NF : A l’époque des Cclin, nous avions des réunions en présentiel, d’autres par visio. Je pensais de base que ce n’était pas un moyen efficace pour échanger, mais j’ai finalement modifié ma vision des choses. En les utilisant, on se rend compte que chaque outil peut être approprié. Ça a été le cas avec les outils de visioconférences. Désormais, je favoriserai l’organisation d’événements par ce biais-là : si on peut éviter aux gens de se déplacer sur plusieurs heures de routes, cela parait optimiser le temps de tout le monde, c’est une valeur ajoutée.
JCD : Oui, aujourd’hui nous sommes mieux équipés aussi (webcam individuelles, casques…). A l’époque, les équipements n’étaient pas optimaux pour une bonne compréhension de tous. Les technologies ont évoluées, et il y a maintenant un vrai confort.
Y a-t-il de nouveaux objectifs qui se dégagent sur le long terme pour les CPias, au regard des actions entreprises pendant cette crise ?
JCD : Concernant le secteur de ville, je travaille déjà avec les URPS, mais jusqu’ici beaucoup de CPias ne travaillaient pas avec les professionnels de ville. Ils ont commencé à avoir des contacts, et ils vont continuer à les garder pour faire de la formation, par exemple pour les médecins ou infirmiers libéraux. Cela a ouvert une porte du secteur de ville pour un certain nombre de CPias.
En ce qui concerne l’usage des nouvelles technologies, nous allons continuer à les utiliser comme nous l’avons précisé. Elles vont pouvoir augmenter les possibilités de travail à distance sur de nombreux points : par exemple on peut essayer de faire des audits à distance avec la webcam (locaux, tenue des professionnels…), on peut aussi donner un certain nombre de conseils.
Autre point : le bilan concerne la 1ère vague du Covid-19 (janvier – juin). Nous sommes à ce jour encore mobilisés, il y a encore du travail, donc il y aura un bilan sur l’année complète. Notre organisation a un peu évolué par rapport à la 1ère vague : on se déplace aujourd’hui beaucoup plus sur les EHPAD par exemple. Cela nous permet de nous appuyer sur l’expérience de la 1ère vague.
Nous pensons que les CPias ont apporté une aide et une plus-value à tous les professionnels de terrain, qui étaient vraiment en grande difficulté. Nous n’avons pas évalué formellement les retours des professionnels, mais nous avons eu des confirmations lors d’échanges de l’importance de l’aide que nous apportions aux professionnels.
NF : En BFC, certains EMS ont souhaité conventionner à l’issue de la 1ère vague, pour continuer à bénéficier de l’accompagnement par une équipe mobile d’hygiène de territoire pas seulement pendant la crise mais sur le long terme. Si l’on en arrive là, c’est que les établissements ont perçu la plus-value d’un accompagnement spécifique.
HV : en ce qui concerne les acteurs du secteur des soins de ville, en Occitanie les demandes ont vraiment augmenté lors de la 1ère vague : infirmiers libéraux, URPS, médecins généralistes mais aussi les SSIAD, ou encore les aides à domicile.
NF : au-delà des professionnels de santé pour la ville, nous avons aussi été sollicités par les centres d’hébergement pour les migrants, ou d’autres types de structures sociales. Ces structures étaient confrontées à la problématique de cas uniques, ou bien de cas groupés. Elles ne nous connaissaient pas, mais elles nous ont maintenant identifiés comme ressource régionale susceptible de pouvoir les accompagner (cas de gale ou autre…)
Cela donne des ouvertures pour des structures qui n’étaient pas toujours dans notre panel, car ce ne sont pas des structures médico-sociales, mais qui maintenant n’hésitent pas à nous appeler.
NF : pour terminer, à l’occasion de cette crise, on se rend compte que les CPias ont un rôle important, tant dans la prévention que dans le contrôle de l’infection : cette crise nous a permis d’affirmer notre place dans l’organisation liée aux soins.
HV : En effet, nos interlocuteurs identifient beaucoup mieux à mon sens aujourd’hui le CPias et ce qu’il peut leur apporter en termes d’appui.