Avec l’arrivée de l’épidémie les besoins en équipements personnel de protection ont connu une hausse exponentielle que seul un modèle mathématique très pessimiste aurait pu prédire s’il y en avait eu un sur le sujet. Pour ceux qui ont 8 minutes à s’accorder par contre, la conférence Ted de Bill Gates en 2015 prédisant l’épisode actuel et nous incitant à nous y préparer vaut le détour.
Si la pénurie initiale en solutions hydro-alcooliques a pu être gérée efficacement par l’effort innovant industriel doublé des opportunités nouvelles offertes temporairement par la règlementation, le challenge qui s’est proposé pour les masques s’est avéré encore plus ardu.
Les spécialistes en prévention et contrôle de l’infection ont prôné l’usage raisonné dans un moment où il était peu audible et ont tenu bon sur les indications et le type de masque à porter. Malgré cela, il a fallu activer la stratégie d’usage prolongé chez un même professionnel, nettement moins confortable et non dénuée aussi de risque en raison des manipulations itératives associées en théorie déconseillées mais en pratique difficile à éviter. Dans la foulée est arrivée la question attendue du recyclage des masques utilisés en vue de leur réutilisation itérative. En période de Covid19 aucune idée ne pouvant être écartée de façon dogmatique on s’est donc penché sur le sujet.
Confronté à la même problématique aux USA, le laboratoire d’anesthésie de l’université de Stanford a réalisé des tests sur des masques N95 pour voir si leurs performances de filtration pouvaient être conservées après un traitement par différents procédés de désinfection susceptibles par ailleurs d’être efficace sur le coronavirus. Ce travail a été très largement partagé sur les réseaux sociaux. Il en ressort que trois traitements ont permis de conserver, a priori après un cycle unique, les qualités du masque à savoir à un passage dans un four à 70°C pendant 30 minutes, une exposition à la vapeur d’eau pendant 10 minutes et un traitement par UV pendant 30 minutes. L’usage de désinfectant liquide, alcool et hypochlorite de sodium, a fortement dégradé la performance des masques. L’efficacité antimicrobienne a été mesuré à l’aide d’une contamination par E. coli mais l’expression non détaillée des résultats (>99%) ne permet pas leur évaluation précise.
En termes d’activité microbiologique, les procédés à base de chaleur sèche, de rayonnement ultraviolet ou de peroxyde d’hydrogène se sont montrés actifs sur les coronavirus.
Un travail moins connu mais très intéressant a été mené en mars 2020 par l’Institut national néerlandais de santé publique et d’environnement sur des masques FFP2. Les performances des masques ont été évaluées avec un Fit test à base de particules, donc la méthode de référence. Après un passage, un traitement à 90°C pendant 5 minutes, avec ou sans usage initial de détergent, et un passage à l’autoclave à 134°C ont altéré totalement les masques. Un traitement à la chaleur sèche à 60°C pendant 12 minutes a conservé les performances. En complément les auteurs ont testé une désinfection par gaz plasma de peroxyde d’hydrogène (procédé Sterrad) et ce de façon itérative. Il ressort que le masque conserve ses propriétés après deux traitements itératifs mais les perd au bout du troisième.
L’étude de Viscusi compare l’impact en termes de performance filtrante sur des maques N95 de 5 méthodes de désinfection. Les deux jugées les moins bonnes sont l’immersion dans la javel à cause des odeurs résiduelles de chlore et les micro-ondes car deux modèles sur 7 ont fondu. Ce dernier procédé ayant une aptitude à dénaturer certains matériaux, il parait assez peu raisonnable de les utiliser sur les membranes filtrantes de fabrication meltblown.
Les trois procédés retenus par les auteurs sont l’oxyde d’éthylène, les UV et le gaz plasma (Sterrad) ce dernier préservant la meilleure intégrité des masques. Dans une étude récente avec le procédé SteraMist, Cheng attire l’attention sur les risques toxiques liés aux résidus chimiques de ces procédés même si dans son étude ils restaient en dessous du seuil d’acceptabilité.
Le plus étudié dans la littérature est le procédé de désinfection par ultraviolets. Lindsey a montré l’efficacité antimicrobienne et le maintien de l’intégrité après un traitement unique sur un masque N95 avec toutefois des différences en fonction de la dose administrée. Mills a étudié la performance sur le virus influenzae d’un traitement par UV (254 nm) sur 15 modèles de masque de protection respiratoire. Sur la base d’une étude précédente il a estimé que l’inoculum maximal présent sur un masque pouvait être de 1 000 et a fixé sa barre de virucidie à 3 log. Au total, 12 des 15 masques ont été désinfectés avec succès mais il faut souligner que les 3 échecs sont survenus avec des modèles de masques coque dont 7 ont été testés. Tous les modèles de masques à soufflet ont passé le test. Les auteurs soulignent l’impact de la forme et du design sur l’efficacité avec la possibilité de zones d’ombre qui peuvent être problématiques pour les UV. Le principe d’une machine à UV dans laquelle on mettrait le masque est le plus séduisant et Hamzavi vient d’en publier un modèle permettant de délivrer une dose de 1 J/cm² en moins de deux minutes. Il souligne que le traitement peut dégrader les polymères mais conclu que le procédé pourrait être intéressant vu que des professionnels utilisent actuellement des substituts non qualifiés de N95 aux USA.
En France un consortium teste différentes méthodes en espérant valider un processus applicable à un niveau industriel et les combinaisons lavage plus désinfection sont en cours d’étude.
A ce stade les procédés décrits comme efficaces, sur les seuls masques de protection respiratoire, ne permettront pas à l’échelon local de répondre aux besoins d’un établissement cela parait évident. Si un procédé industriel venait à être qualifié, il le serait probablement pour un nombre limité d’usages voire une réutilisation unique. Organiser la collecte puis la traçabilité du nombre maximal d’utilisation parait des plus complexes sur le terrain. Toutes manipulations et opérations de tri sont, elles, associées à des risques de contamination additionnelle.
Pour conclure, les nouvelles préconisations des CDC résument bien ce que l’on peut penser à ce stade de la question. Cet éminent organisme stipule que si on a l’accord du fabricant, et la méthode associée de retraitement, on suit ces préceptes. A ma connaissance aucun fabricant de masque à usage unique ne s’est lancé dans cet exercice périlleux. Sinon, on peut faire du recyclage en sachant que l’on ne garantit pas l’efficacité antimicrobienne en dehors du Covid19, ni la qualité de filtration résultant de l’opération. De ce fait, il ne faut pas les utiliser pour les gestes induisant des aérosols à savoir les indications internationales de leur usage. Une façon subtile de dire oui tout en affirmant non.
Appuyons nous déjà au mieux sur le large panel de solutions disponibles et essayons de résister à la tentation même si elle est forte.
A suivre…
Pierre Parneix
Responsable du CPIAS NA