Si grâce à sa maitrise des techniques chromatiques il peut arriver au microbiologiste de voir la vie en rose avec Enterococcus faecium, c’est plus rarement le cas pour le spécialiste de l’hygiène et du contrôle des infections.
Même si les données nationales de sa diffusion en établissement de santé montrent une tendance à la baisse ces dernières années, il reste un ennemi coriace en milieu de soins dont il est difficile d’endiguer la transmission croisée.
Si on attribue au français Thiercelin la première description en 1889 d’un enterococcus qu’il avait appelé saprohytic coccus ce sont la même année les américains William McCallum et Thomas Hastings qui décrivent la première infection à ce genre microbien. Sur les 14 pages de l’article moins de 2 sont consacrées à l’histoire clinique car, hélas, à l’ère pré antibiotique l’espérance de vie de l’infectée était courte malgré ici l’hospitalisation dans le service du légendaire William Osler, canadien qui devenait, en cette année 1889, le premier médecin chef de l’hôpital John Hopkins de Baltimore. Si la médecine était peu curative en ces temps, la discipline d’anatomie pathologique était par contre florissante comme en atteste les 4 pages de l’article consacrées aux constatations nécropsiques avec moult descriptions imagées des végétations valvulaires cardiaques de ce patient atteint d’endocardite. L’hémoculture pratiquée trois jours avant le décès du patient permis d’identifier une bactérie du genre micrococcus, jamais identifiée jusque-là, à qui ces médecins donnèrent le nom de Micrococcus zymogenes en raison de ses propriétés fermentatives révélées au contact du lait. On passe ensuite l’inoculation douloureuse à toute une gamme d’animaux, allant du rat au chien, pour vérifier son pouvoir pathogène, pour souligner que Micococcus zymogenes est depuis 1906 connu sous le nom d’Enterococcus faecalis.
On attribue par contre la première identification de l’espèce Enteroccoccus faecium à Sigurd Orla-Jensen en 1919. Ce dernier fut un grand maitre de la taxonomie bactérienne dans son laboratoire de Berne et les amateurs du genre pourront trouver leur bonheur dans l’article de François Lebreton. Parmi les résistances aux antibiotiques acquises par E. faecium celle aux glycopeptides est décrite depuis la fin des années 1980 et est désormais vastement implantée sur la planète.
Le tout récent article de Marco Cassone met en lumière les risques de diffusion des ERV en milieu de soins via en particulier la composante environnementale. En secteur de soins de suite gériatriques, il a suivi en parallèle chez 463 patients l’évolution de la contamination de leur environnement par des ERV et l’acquisition de cette colonisation en regard avec l’originalité d’un dépistage corporel élargi ajoutant le portage cutané et pharyngé à une recherche péri anale. Les auteurs ont trouvé qu’il y avait, pour un patient, 3,75 plus de risque de devenir colonisé à ERV si l’environnement de sa chambre était préalablement contaminé par ce pathogène. En parallèle, il y avait 3,99 plus de risque que la chambre se contamine si la patient était porteur d’ERV mais à ce propos il faut noter que 28% des chambres se sont positivées à ERV malgré la présence d’un patient non porteur. Les échanges bactériens sont donc actifs en milieu de soins.
Dans la dynamique actuelle forte de renforcement des interventions environnementale pour un meilleur contrôle de la diffusion des ERV, l’étude Australienne REACH offre un apport intéressant. Il s’agit d’un essai avec randomisation des établissements participants pour évaluer l’impact d’un bouquet de mesures visant à améliorer la qualité du bionettoyage selon six dimensions (pédagogie, technique, produit, évaluation et communication). La première publication de résultats, axée sur la partie comportementale, a montré que l’intervention avait changé significativement les connaissances et le comportement des agents de bionettoyage mais peu leur attitude et donc leurs représentations. La publication finale, parue dans le Lancet Infectious Diseases en 2019, rapporte les résultats du critère de jugement principal à savoir les taux d’infections à C. difficile, SARM et ERV. Les analyses statistiques ont montré un impact significatif à la baisse des taux d’infection lié à l’intervention pour le seul ERV ; de 0,35 à 0,22 pour 10 000 patient jours soit une baisse de risque de 37%. Les auteurs concluent que la mise en place d’un « bundle » bionettoyage a permis d’abord d’améliorer la qualité du nettoyage et ensuite de réduire l’incidence des infections à ERV.
Actuellement de nombreuses publications, de niveau méthodologique variable, mettent en avant le rôle de l’environnement dans la dissémination des BHRe. A titre d’exemple, en décembre 2019, une équipe sud-coréenne a analysé l’impact d’une procédure renforcée de bionnettoyage sur l’incidence des infections à bactéries multirésistantes. L’hôpital a été confronté à une épidémie à MERS Cov en juin et juillet 2015 au cours de laquelle ils ont mis en place un bionettoyage à base d’hypochlorite de sodium (500 ppm, 6 fois par jour) des chambres de patients infectés soit 11% de l’ensemble des 1 941 lits durant cette période. Il faut noter aussi qu’une désinfection complémentaire au peroxyde d’hydrogène gazeux était réalisée au décours. Il est intéressant de constater dans cette analyse avant/après que l’incidence des prélèvements cliniques à VRE pour 1 000 patient jours est passée de 172 durant les deux mois d’épidémie à 50 au décours de l’épidémie (aout-septembre 2015) pour revenir à 161 en octobre-novembre 2015. Les auteurs concluent que la causalité est difficile à établir mais qu’ils pensent que le renforcement ponctuel de la désinfection des chambres a contribué à faire baisser de façon temporaire la fréquence des infections à ERV.
Beaucoup de débats encore en perspective autour de ces sujets mais une certitude au moins, il est indispensable de se poser la question des réservoirs environnementaux face à une épidémie non contrôlée de BHRe.
L’hygiène environnementale semble de nouveau à la une et avoir de beau jour devant elle. Réjouissons en nous !