Skip to content

L’émergence de Candida auris : une exigence de préparation, une opportunité d’amélioration

La vague médiatique presque continue qui déferle depuis près de trois semaines à propos du dit « Champignon tueur », Candida auris, appelle quelques réflexions de notre nouveau réseau national.

D’abord elle est le constat que les risques infectieux émergeants intéressent et préoccupent nos concitoyens et que leur prévention est désormais un sujet à part entière de débat et d’analyse. C’est évidemment un constat positif pour les spécialistes en exercice de la prévention et du contrôle des infections mais c’est aussi l’affichage d’une responsabilité renforcée du devoir qui nous revient d’être à la hauteur de l’enjeu et d’assurer au mieux la protection des patients par rapport à ce risque.

Aujourd’hui, on commence à mieux cerner l’ennemi mais il reste encore pas mal de zones d’ombre avec lesquelles il va nous falloir composer au moins initialement, mais nous en avons l’habitude. S’il a été identifié pour la première fois dans le conduit auditif d’une femme japonaise en 2009 des recherches rétrospectives ont permis de le retrouver dès 1996 en Corée du sud (Rossato, 2018) mais les raisons de son émergence récente restent comme souvent inconnues. Il n’y a de plus pas un seul clone épidémique mais plusieurs déjà identifiés. Candida auris fait évidemment parler de lui en raison de la forte létalité qu’il a engendré dans les épisodes rapportés, à savoir de 30 à 60%, mais aussi à cause de caractéristiques atypiques pour une levure pathogène pour l’homme. Si la source des infections à Candia albicans est majoritairement endogène, à partir de la colonisation du tube digestif, on a ici un agent peu adapté à la vie en anaérobiose et qui donc va se retrouver le plus souvent sur la peau voire les fosses nasales et diffuser par transmission croisée à partir de là (Nett, 2019). Par contre il est plus rare de le trouver dans la bouche et dans la gorge et cela pourrait venir de la capacité d’un peptide salivaire à le détruire (Pathirana, 2017).

Parmi les spécificités, faisant son pouvoir pathogène, une étude récente a identifié une capacité de C. auris à résister à l’attaque des polynucléaires neutrophiles contrairement à C. albicans (Johnson, 2018). Toutes les données qui émergent mériteront d’être consolidées mais les interrogations sont là. Sur le plan thérapeutique on connait bien la résistance potentielle de ces souches aux azolés, en particulier au fluconazole, et parfois à l’amphotéricine B, faisant des échninocandines les antifongiques de référence pour traiter les infections avec toutefois des souches déjà résistantes (Jeffery-Smith, 2018) imposant de rechercher des associations synergiques. Ce phénomène serait attribué à une diminution de la concentration en ergostérol de la membrane cellulaire (Forsberg, 2019). Comme tout pathogène hautement résistant son émergence va être favorisée par les traitements anti fongiques prophylactiques ou curatifs. Dans un article récent l’équipe de notre collègue Jean-Ralph Zahar remet cette émergence en perspective d’autres concernant des fongiques dont celle de 2012 à Geotrichum clavata devenu depuis Saprochaete clavata pour les amoureux de taxonomie (Bougnoux, 2018).

Sur le plan physiopathologique on connait l’aptitude de C. auris à adhérer aux plastiques et à générer un biofilm très organisé lui donnant ainsi la capacité à coloniser différents dispositifs invasifs dont les cathéters veineux et les sondes urinaires. Colonisant la peau, il peut aussi grâce à ses enzymes lytiques, dont l’hydrolase est la plus fréquente, compliquer des actes opératoires via l’incision cutanée. La survie environnementale de C. auris est à l’évidence possible et peut atteindre 14 jours voire plus. Le challenge de la maîtrise de l’environnement est donc majeur. A ce stade une résistance spécifique aux désinfectants de cette levure n’est pas avérée. Les travaux menés montrent tous une très bonne efficacité des produits oxydants, en faisant la référence préconisée, mais avec des variations selon le type de surfaces (Kean, 2017).Par ailleurs, et c’est rassurant, nos antiseptiques majeurs se montrent efficaces (Moore, 2017) comme les solutions hydro-alcooliques testées. Un débat autour d’une moindre activité des ammoniums quaternaires existe (Cadnum, 2017). Globalement la vision qui ressort des travaux, publiés ou non, est que C. auris se comporterait de la même manière que C. albicans vis-à-vis des désinfectants.

Sur l’échelle temporelle l’arrivée de C. auris est tracée en 2013 au Royaume Uni et en 2017 en France (Cortegiani, 2018). A ce jour les cas français sont encore très rares avec deux dont la presse s’est déjà faite écho au CHU de Tours et de La Réunion. Le cas de Tours a fait l’objet d’une publication (Desoubeaux, 2018) et concerne une patiente admise pour transplantation hépatique qui dans les deux mois précédent son hospitalisation en France avait fait l’objet d’une prise en charge médicale en Inde et en Iran. Son hospitalisation a duré 52 jours sans qu’aucun cas secondaire ne soit détecté par la politique de dépistage mise en place localement. Le second cas pris en charge à La Réunion est très similaire en termes d’exposition à une prise en charge médicale à l’étranger et de maîtrise réussie du risque infectieux associé aux soins durant le séjour. La maîtrise est donc possible au prix d’une stratégie agressive mais connue et Bruno Grandbastien, avec nos collègues du CHU de Lausanne, ont parfaitement décrit cette approche suite à la prise en charge de leur premier cas (Arnaud , 2018).

On peut donc imaginer aujourd’hui que les cas qui vont arriver sur notre territoire seront comme pour les BHRe des patients rapatriés de l’étranger, ou avec un antécédent d’hospitalisation récent, et dans des services accueillant des patients fragiles requérant des soins complexes. Notre challenge est désormais de pouvoir identifier ces portages et de nous assurer que les mesures de prévention associées sont bien effectives. Les recommandations internationales dans ce domaine sont assez concordantes et à ce stade il existe un document canadien intéressant et accessible en version française (Santé Publique Ontario, 2019). Le haut Conseil de Santé Publique français produira prochainement un avis sur le sujet et il est évident que chacun des acteurs régionaux et nationaux aura une responsabilité directe dans le soutien à donner aux EOH et à leurs établissements qui vont être confrontées aux futurs cas sur notre territoire.

Evidemment, si on se projette au-delà d’une phase d’émergence ponctuelle, notre capacité à maîtriser cet agent infectieux passera comme pour les autres par une mise en place effective de nos précautions standard. Plus que jamais en ce début de mois de mai une observance élevée de l’hygiène des mains reste la première priorité dans tous les secteurs de soins. Le lancement récent par le RéPias de l’audit Pulpe’friction et de ses outils de communication associés constitue une opportunité à saisir pour y arriver.

Pierre Parneix

Responsable du CPIAS NA

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest